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LE VIOL DE LUCRÈCE.

que les airs mélancoliques dont les pleurs marquent la mesure.

CLXII

» Viens, Philomèle, dont le chant rappelle un viol (20) ; fais de ma chevelure éparse ton triste bosquet. De même que la terre humide pleure de ta langueur, je verserai une larme à chacun de tes tristes accents, et j’en soutiendrai le diapason par de profonds sanglots. Pour refrain je murmurerai le nom de Tarquin, tandis qu’avec plus d’art tu moduleras celui de Térée.

CLXIII

» Et tandis que tu soutiendras ta partie contre une épine, pour tenir en éveil tes souffrances aiguës, moi, misérable, afin de t’imiter, je fixerai contre mon cœur un couteau affilé pour épouvanter mes yeux ; et, pour peu qu’ils se troublent, je tomberai sur la pointe et mourrai. Ainsi, comme avec les touches d’un instrument, nous mettrons les cordes de nos cœurs au ton de la vraie douleur.

CLXIV

» Et puisque, pauvre oiseau, tu ne chantes pas dans le jour, comme honteux d’être aperçu par aucun regard, nous découvrirons quelque solitude profonde et sombre, éloignée de tout chemin, où ne pénètre ni la chaleur brûlante ni le froid glacial, et là nous révélerons aux créatures féroces des chants mélancoliques qui les apprivoiseront. Puisque les hommes deviennent des bêtes fauves, que les bêtes fauves aient l’âme douce ! »