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LE VIOL DE LUCRÈCE.

tuer le tigre qui vit de tuerie, d’apprivoiser la licorne et le lion farouche, de bafouer les habiles dupés par eux-mêmes, de réjouir le laboureur par un accroissement de moisson, et d’user d’énormes pierres avec de petites gouttes d’eau.

CXXXVIII

» Pourquoi fais-tu tant de ravages dans ton pèlerinage, si tu ne peux revenir sur tes pas pour les réparer ? Une pauvre minute en arrière dans un siècle te ferait un million d’amis, en prêtant de la sagesse à quiconque prête à de mauvais débiteurs. Ô terrible nuit ! si tu voulais rétrograder d’une heure, je pourrais prévenir cet orage et éviter le naufrage.

CXXXIX

» Ô toi, perpétuel laquais de l’éternité, arrête par quelque mésaventure Tarquin dans sa fuite ; imagine des extrémités par delà l’extrémité pour lui faire maudire cette mauvaise nuit de crime ! Que des visions spectrales épouvantent ses yeux lascifs, et que pour lui l’horrible pensée de son forfait transforme chaque buisson en un démon monstrueux !

CXL

» Trouble ses heures de repos par des transes incessantes ; afflige-le dans son lit de sanglots étouffants ; qu’il lui arrive de lamentables malheurs, qui le fassent gémir sans que tu aies pitié de ses gémissements ; lapide-le avec des cœurs endurcis, plus durs que des pierres ; et que les femmes douces perdent pour lui leur douceur, plus farouches pour lui que des tigres en leur farouche solitude.