Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1872, tome 15.djvu/243

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
243
LE VIOL DE LUCRÈCE.

a-t-il des yeux pour voir son trésor ; il reste comme Tantale en proie à d’incessantes langueurs, et il engrange en pure perte la récolte de son industrie, retirant pour toute jouissance de ses richesses la douloureuse pensée qu’elles ne peuvent guérir ses maux.

CXXIV

» Il les possède ainsi, quand il ne peut plus en faire usage, et il les laisse au pouvoir de ses enfants, qui dans leur vanité se hâtent de les dissiper. Le père était trop éteint ; eux, ils sont trop ardents pour conserver longtemps cette maudite bienheureuse fortune. Les douceurs que nous souhaitons deviennent de fâcheuses amertumes, au moment même où nous les appelons nôtres.

CXXV

» Des vents impétueux accompagnent le tendre printemps ; des plantes malfaisantes prennent racine avec les fleurs précieuses ; le serpent siffle où chantent les suaves oiseaux ; ce qu’engendre la vertu, l’iniquité le dévore. Il n’est aucun bien en notre possession dont une circonstance néfaste ne ruine l’essence ou les qualités.

CXXVI

» Ô occasion ! tu es la grande coupable ; c’est toi qui exécutes la trahison du traître ; tu guides le loup là où il peut saisir l’agneau. Si criminel que soit un complot, tu lui fixes le moment ; c’est toi qui fais violence au droit, à l’équité, à la raison ; dans l’ombre de ton antre, où nul ne peut l’apercevoir, le mal s’embusque pour saisir les âmes qui passent près de lui.