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LE VIOL DE LUCRÈCE.

que le désir ivre vomisse ce qui l’a rassasié, avant de voir sa propre abomination. Tant que la luxure est dans son insolence, aucune réprobation ne peut dominer son ardeur, ni maîtriser son violent désir ; il faut que, comme une rosse, la passion égoïste se fatigue elle-même.

CII

Et alors, la joue pendante, amaigrie, décolorée, l’œil terne, le sourcil froncé, la démarche défaillante, piteux, misérable et humble, le faible désir se lamente comme un banqueroutier ruiné. Tant que la chair est superbe, le désir lutte avec la vertu, et s’en fait une fête ; mais, dès que la chair se relâche, le rebelle coupable implore sa grâce.

CIII

Il en est ainsi de ce criminel seigneur de Rome, qui a si ardemment cherché une telle satisfaction. Car maintenant il murmure contre lui-même cette sentence, qu’il est déshonoré dans les âges à venir ; en outre le beau temple, de son âme est profané, et sur ses faibles ruines se précipitent des légions de soucis pour demander à cette souveraine souillée ce qu’elle est devenue.

CIV

L’âme répond que ses sujets, par une affreuse insurrection, ont battu en brèche sa muraille sacrée, et, par leur faute mortelle, réduit en servitude son immortalité, en l’assujettissant à une mort vivante et à une peine perpétuelle : dans sa prescience, elle leur avait constamment résisté, mais sa prévision n’a pu prévenir leur volonté.