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LE VIOL DE LUCRÈCE.

XCI

» Songe quel horrible spectacle ce serait pour toi d’apercevoir dans un autre ton forfait actuel. Les hommes voient rarement leurs fautes ; ils étouffent leurs propres transgressions sous leur partialité. Ce crime-ci te paraîtrait digne de mort dans ton frère. Oh ! comme ils sont empêtrés dans leur infamie ceux qui détournent les yeux de leurs propres méfaits !

XCII

» Vers toi, vers toi, mes mains s’élèvent suppliantes. Arrière le désir séducteur, conseiller de violence ! J’implore le rappel de la majesté bannie ; fais-la reparaître, en repoussant les pensées tentatrices ; ta noble dignité emprisonnera le perfide désir, et dissipera le nuage sombre de ton œil égaré ; alors tu reconnaîtras ta situation, et tu compatiras à la mienne. »

XCIII

« Assez ! s’écrie Tarquin ; l’indomptable flot de mes désirs ne reflue pas ; tous ces obstacles ne font que le grossir. De faibles lumières sont bientôt éteintes ; les grands feux résistent, et le vent ne fait qu’exaspérer leur furie. Les menus cours d’eau, qui paient à leur amer souverain la dette journalière de leur doux torrent, ajoutent à ses ondes sans altérer son goût. »

XCIV

— « Toi aussi, dit-elle, roi souverain, tu es un Océan ; et voilà que s’engouffrent dans ton abîme insondable la