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LE VIOL DE LUCRÈCE.

LXXXIV

» Mon mari est ton ami, pour l’amour de lui épargne-moi ! Toi-même tu es grand, pour l’amour de toi-même laisse-moi ! Je suis moi-même une faible créature, ne me prends pas au piége ; tu n’as pas l’air fourbe, ne le sois pas envers moi. Les tourbillons de mes soupirs font effort pour t’éloigner de moi. Si jamais homme fut ému des gémissements d’une femme, sois ému de mes larmes, de mes soupirs, de mes sanglots.

LXXXV

» Pêle-mêle, comme un Océan troublé, ils battent ton cœur de roc, cet écueil menaçant, pour l’adoucir par leur continuelle action ; car les pierres mêmes, en se désagrégeant, fondent dans l’eau. Oh ! si tu n’es pas plus dur qu’une pierre, laisse-toi attendrir par mes larmes, et sois compâtissant ! La douce pitié pénètre par une porte de fer.

LXXXVI

» Je t’ai reçu en croyant recevoir Tarquin ; as-tu assumé ses traits pour l’outrager ? Je me plains à toute l’armée du ciel ; tu insultes à son honneur, tu dégrades son nom princier. Tu n’es pas ce que tu as l’air d’être ; ou, du moins, tu n’as pas l’air de ce que tu es, un roi, un dieu ; car les rois, comme les dieux, doivent gouverner toute chose.

LXXXVII

» Quelle moisson d’infamie réserves-tu donc à ta vieillesse, que tes vices sont ainsi épanouis avant ton prin-