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LE VIOL DE LUCRÈCE.

gouffre dévorant que l’excès même ne peut combler. L’oreille accueille la prière, mais le cœur ne se laisse pas pénétrer par les plaintes. Les larmes endurcissent la luxure, bien que la pluie use le marbre.

LXXXI

L’infortunée fixe un regard suppliant sur ce visage impitoyablement contracté ; sa chaste éloquence est melée de soupirs qui ajoutent plus de grâce à sa parole. Souvent elle rompt la période de son discours, et ses phrases sont tellement entrecoupées qu’elle les recommence deux fois avant de les achever.

LXXXII

Elle le conjure par le tout-puissant Jupiter, par la chevalerie, par la courtoisie, par les vœux de la douce amitié, par ses larmes qui débordent, par l’amour de son mari, par la sainte loi de l’humanité, par la commune loyauté, par le ciel, la terre et toutes leurs puissances ; elle le conjure de retourner à son lit d’emprunt, et d’obéir à l’honneur, et non à un infâme désir.

LXXXIII

« Ah ! dit-elle, ne récompense pas l’hospitalité par le sombre paiement que tu as projeté ; ne souille pas la source qui t’a donné à boire ; ne commets pas une irréparable dégradation ; lâche ton but criminel avant que ton coup soit lâché. Ce n’est pas un digne chasseur que celui qui tend son arc pour frapper une pauvre biche impuissante.