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LE VIOL DE LUCRÈCE.

sens ; les portes, le vent, le gant qui l’ont retardé, sont pour lui les détails accidentels d’une telle épreuve, ou comme ces freins qui retiennent l’horloge et en ralentissent le mouvement jusqu’à ce que chaque minute ait payé sa dette à l’heure.

XLVIII

« Oui, oui, se dit-il, ces contre-temps sont comme les gelées qui parfois menacent le printemps, pour ajouter du charme au renouveau et donner aux oiseaux déconcertés une raison de plus de chanter. La peine est le revenu de toute chose précieuse. Rochers énormes, grands vents, pirates féroces, écueils et bancs de sable, le marchand a tout à craindre, avant de débarquer riche au port. »

XLIX

Enfin il arrive à la porte qui le sépare du ciel de sa pensée. Un loquet docile est tout ce qui l’écarte de l’objet divin qu’il cherche. Le sacrilége l’a tellement égaré qu’il se met à prier pour son succès, comme si les cieux pouvaient autoriser son crime.

L

Mais au milieu de sa stérile prière, au moment où il vient de supplier l’éternelle puissance de lui accorder la beauté de ses sombres rêves et de lui être propice à l’heure suprême, il tressaille soudain : « Il faut que je la déflore, se dit-il ; les puissances que j’implore abhorrent un tel attentat : comment donc m’aideraient-elles à le commettre ?