Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1872, tome 15.djvu/219

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
219
LE VIOL DE LUCRÈCE.

qui en un moment confond et détruit en lui toute honnête influence, et le domine à tel point qu’une vilenie lui semble une action méritoire.

XXXVII

« Elle m’a pris affectueusement par la main, se dit-il, et elle interrogeait avec anxiété mes yeux avides, dans la crainte d’apprendre quelque sinistre nouvelle du camp où est son bien-aimé Collatin. Oh ! comme l’inquiétude lui donnait des couleurs ! D’abord rouge comme une rose posée sur du linon, puis blanche comme ce linon même, la rose enlevée.

XXXVIII

» Et comme sa main, serrée dans ma main, la forçait à trembler de ses loyales alarmes ! Sous le coup de la crainte, elle n’a cessé de palpiter que quand elle a su son mari sain et sauf ; alors elle a souri d’un air si doux, que, si Narcisse l’avait vue dans cette attitude, il ne se fût jamais noyé par amour de lui-même.

XXXIX

» Qu’ai-je besoin alors de chercher des couleurs ou des excuses ? Tous les orateurs sont muets quand la beauté parle. De chétifs misérables ont seuls des remords après de chétifs méfaits. L’amour ne prospère pas dans le cœur qui redoute des ombres. L’amour est mon capitaine, il me guide, et, quand sa splendide bannière est déployée, le lâche même combat sans se laisser effrayer.

XL

» Arrière donc, crainte puérile ! Mort à l’hésitation ! Que les considérations de la raison fassent escorte à l’âge