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LE VIOL DE LUCRÈCE.

impie qui comprend les plus noirs attentats ! Un homme de guerre, l’esclave d’une passion voluptueuse ! La vraie valeur doit toujours avoir le vrai respect d’elle-même. Mon forfait est si infâme, si bas, qu’il restera gravé sur mon front.

XXX

» Oui, j’aurai beau mourir, l’ignominie me survivra, et fera tache sur l’or de mon écusson. Le héraut inventera quelque dégradant stigmate pour dénoncer ma folle passion, et mes descendants, humiliés par cette flétrissure, maudiront mes os et ne tiendront pas à crime de souhaiter que leur ancêtre n’eût jamais existé.

XXXI

» Qu’est-ce que je gagne, si j’obtiens ce que je cherche ? Un rêve, un souffle, la billevesée d’une jouissance éphémère qui paie d’une semaine de tristesse la satisfaction d’une minute, ou qui vend l’éternité pour avoir une vétille ! Qui donc pour une grappe savoureuse voudrait détruire la vigne ? Quel est le mendiant insensé qui, rien que pour toucher la couronne, s’exposerait à être sur place écrasé par le sceptre ?

XXXII

» Si Collatin rêve de mon projet, ne va-t-il pas s’éveiller, et dans sa rage désespérée accourir ici pour s’opposer à ce vil dessein, à ce siége qui investit son lit nuptial, à cette flétrissure de la jeunesse, à cette douleur du sage, à cette mort de la vertu, à cette infamie à jamais vivante dont le crime doit subir un éternel opprobre ?