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LE VIOL DE LUCRÈCE.

XXII

Ainsi, dans nos mauvaises spéculations, nous renonçons à ce que nous sommes pour ce que nous espérons être ; et cette sombre infirmité, l’ambition de trop avoir, nous tourmente de l’insuffisance de ce que nous avons ; en sorte que nous ne nous soucions plus de ce que nous avons et que, faute de raison, nous réduisons à rien ce que nous voulons augmenter.

XXIII

Tel est le hasard que va courir ce fou de Tarquin, en sacrifiant son honneur pour satisfaire sa convoitise ; il faut que pour lui-même il s’immole lui-même. À qui donc se fier, si l’on ne peut plus se fier à soi-même ? Quel dévouement peut-on attendre d’un étranger, quand soi-même on se ruine, quand soi-même on se livre à la calomnie et au plus affreux malheur ?

XXIV

Maintenant le linceul de la nuit s’étend furtivement sur le temps ; un sommeil accablant a fermé les yeux mortels ; aucune étoile propice ne prête sa lumière ; pas d’autre bruit que les cris néfastes des hiboux et des loups. Voici le moment favorable pour surprendre les innocentes brebis ; les pensées pures sont mortes et inertes, tandis que la luxure et le meurtre veillent pour souiller et assassiner.

XXV

Et maintenant le noble libertin saute à bas de son lit ; il jette négligemment son manteau sur son bras, folle-