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LE VIOL DE LUCRÈCE.

cette guerre silencieuse des lis et des roses ; son œil traître s’engage dans leur noble rang, et là, de peur d’être tué entre deux chocs, le couard, vaincu et captif, se rend aux deux armées, qui aimeraient mieux le laisser libre que de triompher d’un si lâche ennemi.

XII

Il pense alors que Collatin, ce prodigue avare qui a tant loué Lucrèce, est resté au-dessous de sa tâche et a, par des paroles superficielles, fait tort à une beauté qui dépasse de beaucoup ses stériles éloges. Tarquin, ravi, supplée par la pensée aux lacunes de ces louanges, dans la muette extase de la contemplation.

XIII

Cette sainte terrestre, adorée par ce démon, ne soupçonnait guère la fausseté de ce culte, car les pensées immaculées songent rarement au mal. Les oiseaux qui n’ont jamais été englués ne craignent aucune secrète embûche. C’est ainsi qu’en toute confiance l’innocente Lucrèce fait l’accueil le meilleur et le plus respectueux à son hôte princier, qui ne trahissait par aucun mauvais signe sa mauvaise intention.

XIV

Il dissimulait son dessein sous la dignité de son rang, cachant le vice immonde dans les plis de la majesté ; rien en lui ne semblait déréglé, sauf parfois l’expression par trop admirative de son regard qui ne pouvait se contenter de tout ce qui lui était offert, mais qui, pauvrement riche, se trouvait misérable dans son opulence, et, rassasié de trésors, en réclamait encore davantage.