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VÉNUS ET ADONIS.

délétères de multiplier les blessures là où il n’en faudrait pas. Pour elle il a deux visages, chaque membre lui semble double ; car souvent l’œil s’abuse quand le cerveau est troublé.

CLXXIX

« Ma langue, dit-elle, ne peut exprimer la douleur que me cause la perte d’un unique Adonis, et cependant j’en vois deux ! Mes soupirs sont épuisés, mes larmes amères taries ; mes yeux sont en feu, mon cœur est de plomb. Puisse ce plomb accablant de mon cœur fondre au feu rouge de mes yeux ! Je mourrai ainsi dans la dissolution de ma passion ardente.

CLXXX

» Hélas ! pauvre univers ! quel trésor tu as perdu ! Quelle figure vivante reste-t-il qui soit digne d’être regardée ? Quelle est la voix désormais qui soit une musique ? De qui peux-tu te vanter dans le passé ou dans l’avenir ? Les fleurs sont embaumées, leurs couleurs sont fraîches et coquettes ; mais l’idéale beauté a vécu et péri avec lui.

CLXXXI

» Que désormais aucune créature ne porte de coiffe ni de voile ! Ni le soleil ni le vent ne chercheront à vous caresser ; n’ayant rien de beau à perdre, vous n’avez rien à craindre ; le soleil vous dédaigne, et le vent vous siffle. Mais, quand Adonis vivait, le soleil et le grand air rôdaient comme deux voleurs pour lui dérober sa beauté.