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INTRODUCTION.

un Ariel, un simple lutin, ose appeler pour la danse Junon, la plus superbe des déesses !

Shakespeare ne résume pas seulement son siècle ; il résume tous les siècles précédents. Il se sert du travail antérieur de l’humanité, et il le transfigure dans son œuvre. Comme Michel-Ange, qui prend une poignée de terre et en fait une statue, Shakespeare prend des ombres dans l’histoire et dans la légende, et il en fait des vivants. Qu’est-ce qu’Hamlet dans la chronique ? Un spectre. Qu’est-il dans le drame ? Un homme.

La liberté de l’art, voilà le grand principe que Shakespeare garda du moyen âge. Qui se souvient aujourdhui de cette farce religieuse, jouée avec tant de succès devant nos pères et qui s’appelait le Mystère de la Passion ? Ce mystère type, où Satan jouait le rôle de comique, commençait à la chute de l’homme et finissait à sa rédemption par le sacrifice du Christ. Eh bien, cette farce aujourd’hui oubliée, où, en dépit d’Aristote, l’action durait des siècles entiers, où la loi des unités était naïvement violée, où le grotesque se mêlait au sublime, et où le diable coudoyait le bon Dieu, cette farce dont les classiques de la Renaissance se sont tant moqués, Shakespeare la transforme et en fait son drame.

À la Renaissance Shakespeare prend autre chose ; il lui prend le langage imagé, riche, coloré, plein de métaphores, que parle tout le seizième siècle avec Ronsard et avec Tasse : ce langage tout méridional, il le transforme en lui donnant l’énergique accent du Nord, et il en fait son style.

C’est dans cette transfiguration qu’éclate l’originalité du poëte ; c’est là vraiment qu’il est lui. Shakespeare prend la forme dramatique du moyen âge, et il l’anime de ses créations ; il prend le langage figuré de la Renaissance, et il se l’approprie par l’idée. Comme il le dit lui-même dans un des poëmes que nous traduisons plus