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VÉNUS ET ADONIS.

l’occasion ; la beauté ne doit pas se consumer en elle-même ; les belles fleurs qui ne sont pas cueillies dans leur primeur se fanent et se flétrissent en peu de temps.

XXIII

» Si j’étais laide, affreuse, ridée par la vieillesse, mal venue, difforme, grossière, la voix rauque, décrépite, méprisée, atrabilaire, froide, le regard trouble, décharnée, maigre, sèche, alors tu pourrais hésiter, car alors je ne serais pas digne de toi ; mais, quand je n’ai pas de défauts, pourquoi m’abhorres-tu ?

XXIV

» Tu ne peux pas voir une seule ride à mon front ; mes yeux sont azurés, brillants et vifs ; ma beauté, comme le printemps, se renouvelle chaque année ; ma chair est douce et potelée, ma moelle brûlante ; ma main unie et moite, si tu l’étreignais avec la tienne, fondrait ou semblerait se dissoudre entre tes doigts.

XXV

» Dis-moi de discourir, et j’enchanterai ton oreille ; ordonne et, comme une fée, je folâtrerai sur la pelouse, ou, comme une nymphe aux longues tresses échevelées, je danserai sur le sable d’un pas invisible : l’amour est un esprit tout de feu, sur qui aucune grossièreté ne pèse, mais qui, impondérable, aspire à s’élever.

XXVI

» Vois ce banc de primevères où je suis couchée ; ces fragiles fleurs me supportent comme des arbres robustes ;