Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1872, tome 15.djvu/143

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
143
SONNETS.

CL

Un jour viendra où mon bien-aimé sera, comme je le suis maintenant, écrasé et épuisé par la main injurieuse du temps. Un jour viendra où les heures auront tari son sang et couvert son front de lignes et de rides ; où le matin de sa jeunesse

Aura gravi la nuit escarpée de l’âge ; où toutes ces beautés, dont il est roi aujourd’hui, iront s’évanouissant ou seront évanouies des yeux du monde, dérobant le trésor de son printemps.

Pour ce jour-là, je me fortifie dès à présent contre le couteau cruel de l’âge destructeur, afin que, s’il tranche la vie de mon bien-aimé, il ne retranche pas du moins sa beauté de la mémoire humaine.

Sa beauté sera vue dans ces lignes noires, à jamais vivantes, et il vivra en elles d’une éternelle jeunesse.

CLI

Puisque le bronze, la pierre, la terre, la mer sans bornes, ne peuvent résister à la triste mortalité, comment la beauté se défendrait-elle contre cette furie, elle qui en action n’est pas plus forte qu’une fleur ?

Oh ! comment le souffle emmiellé d’un été tiendrait-il contre l’assaut destructeur des jours en batterie, quand les rocs imprenables ne sont pas assez solides, ni les portes d’acier assez fortes pour braver les coups du temps ?