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SONNETS.

CXLIII

Ma glace ne me persuadera pas que je suis vieux, tant que la jeunesse et toi vous serez du même âge ; ce n’est que quand je remarquerai sur toi les sillons du temps que je m’attendrai à voir la mort terminer mes jours.

Car toute cette beauté qui te couvre n’est que le vêtement visible de mon cœur, qui bat dans ta poitrine, comme ton cœur dans la mienne. Comment donc puis-je être plus vieux que toi ?

Ainsi, ô mon amour, veille sur toi-même, comme je veille sur toi, non pour moi-même, mais pour toi. Car je porte ton cœur, et je le préserverai de tout mal, avec la vigilance d’une tendre nourrice pour son marmot.

Ne réclame pas ton cœur quand je n’ai plus le mien. Tu me l’as donné, ce n’est pas pour le reprendre.

CXLIV

Le péché d’amour-propre possède mes yeux tout entiers, et toute mon âme, et toutes les parties de mon être : et pour ce péché il n’est pas de remède, tant il est profondément enraciné dans mon cœur.

Il me semble qu’il n’est pas de visage aussi gracieux que le mien, pas de forme aussi pure, pas de perfection égale, et, dans l’opinion que je me fais de ma propre valeur, je me place à tous égards au-dessus de tous les autres.

Mais, quand ma glace me montre à moi tel que je suis,