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INTRODUCTION.

valier de son temps, avait été tué dans les Pays-Bas au service de la cause protestante. On citait de lui ce trait touchant qu’au moment de mourir, ayant une soif ardente, il avait tendu sa gourde à un soldat blessé. Toute l’Angleterre avait assisté à ses funérailles. Sa réputation était européenne. Peu de temps avant sa mort, la diète de Varsovie lui avait offert la couronne de Pologne. Généreuse idée qu’avait eue cette nation héroïque de faire de ce simple gentilhomme l’égal des rois les plus hautains !

On devine quel effet dut faire, en ces circonstances, le livre de Philipp Sidney. Les arrêts littéraires qu’il contenait empruntaient une autorité particulière à cette tombe fameuse. Les envieux purent à leur aise exploiter la Défense de la Poésie contre le drame shakespearien. En effet, ce livre renfermait des sentences comme celle-ci : « On use beaucoup du drame en Angleterre, et on en abuse de la manière la plus pitoyable. Comme une fille grossière qui accuse une mauvaise éducation, le drame met en question l’honneur de la poésie, sa mère. » Comme son collègue de la critique française, Joachim du Bellay, Philipp Sidney ne jurait que par les anciens ; c’était au nom des anciens qu’il accablait les modernes. Shakespeare aurait pu lui dire ce que Corneille disait à Scudéry : Vous vous êtes fait tout blanc d’Aristote ! Sidney était, en effet, un défenseur acharné de l’unité de temps et de l’unité de lieu, « ces compagnes nécessaires de toutes les actions corporelles. » — « Là, disait-il, où la scène devrait toujours représenter un seul lieu, et où le temps le plus long qu’on puisse supposer devrait être d’un jour au plus, selon le précepte d’Aristote et de la commune raison, on imagine sans aucun goût beaucoup de places et beaucoup de journées. » Mais ce n’est pas le seul reproche que le critique classique faisait au nouveau théâtre.