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SONNETS.

Pourquoi, ayant un loyer si court, fais-tu de si grandes dépenses pour ta demeure éphémère ? Est-ce pour que les vers, héritiers de ce superflu, mangent à tes frais ? La fin de ton corps est-elle la tienne ?

Âme, vis donc aux dépens de ton esclave, et laisse-le languir pour augmenter tes trésors. Achète la durée divine en vendant des heures de poussière. Nourris-toi au dedans, et ne t’enrichis plus au dehors.

Ainsi tu te nourriras de la mort qui se nourrit des hommes ; et, la mort une fois morte, tu n’auras plus rien de mortel.


*

CXI

Où donc es-tu, muse, pour oublier si longtemps de parler de celui qui te donne toute ta puissance ? Dépenses-tu ta furie à quelque indigne chant, couvrant d’ombre ta poésie pour mettre la lumière sur de vils sujets ?

Reviens, muse oublieuse, et vite rachète par de nobles accents le temps si futilement passé ; chante à l’oreille de celui qui estime tes lais et qui donne à ta plume talent et argument.

Debout, muse rétive. Vois, sur le doux visage de mon bien-aimé, si le temps n’a pas gravé quelque ride. S’il l’a fait, couvre ses ravages de ta satire, et fais de ses trophées la risée de l’univers.

Donne la gloire à mon ami plus vite que le temps ne