Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1872, tome 11.djvu/95

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
91
SCÈNE I.

Ma vie appartient à mon devoir ; mais ma bonne renommée, — qui en dépit de la mort vivra sur ma tombe, — tu ne l’emploieras pas au noir usage du déshonneur. — Je suis honni, accusé, conspué, — percé au cœur par le trait envenimé de la calomnie ; — et il n’est qu’un baume pour guérir une telle blessure, c’est le sang du cœur — qui a exhalé ce poison.

richard.

Cette fureur doit être contenue : — donne-moi son gage. Les lions domptent les léopards (2).

norfolk.

— Oui, mais n’effacent pas leurs taches ; enlevez-moi la honte, — et j’abandonne ce gage. Cher, cher seigneur, — le plus pur trésor que puisse donner l’existence mortelle, — c’est une réputation sans tache ; ôtez cela, — et les hommes ne sont qu’une fange dorée, qu’une argile peinte. — Un joyau dans un coffre dix fois verrouillé, — c’est un cœur vaillant dans une poitrine royale. — Mon honneur, c’est ma vie : tous deux ne font qu’un ; — enlevez-moi l’honneur, et ma vie est perdue. — Donc, mon cher suzerain, laissez-moi défendre mon honneur ; — c’est pour lui que je vis, pour lui que je veux mourir.

richard, à Bolingbroke.

— Cousin, rejetez ce gage ; commencez.

bolingbroke.

— Oh ! Dieu préserve mon âme d’une si noire vilenie ! — Puis-je paraître, cimier baissé, en présence de mon père ? — Puis-je ravaler ma hauteur jusqu’au pâle effroi d’un mendiant — devant cet effronté poltron ? Avant que ma langue — blesse mon honneur par une si outrageante faiblesse, — avant qu’elle sonne une si honteuse chamade, mes dents déchireront — le servile organe d’une lâche palinodie — et (insulte suprême !) le cracheront