Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1872, tome 11.djvu/82

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
78
LA PATRIE.

deux dangers suprêmes. L’un est le paroxysme de l’état de guerre : il s’appelle la barbarie. L’autre est la dégradation de l’état de paix : il se nomme la corruption. — Le désordre incessant, la division universelle, le déchirement de la patrie, la destruction de la cité, l’anéantissement du foyer, le sac des villes, la dévastation des campagnes, le pillage chronique, la lutte fratricide du Nord avec le Midi, de l’Ouest avec l’Est, la réaction furieuse des provinces contre le centre, les arts supprimés, les lettres mortes, la culture partout impossible, les terres, comme les âmes, devenues une immense jachère, le déchaînement des instincts féroces, l’exaspération des passions sauvages, l’extermination, le chaos, telle est la barbarie dont Hotspur est le héros. — L’appétit faisant loi, l’intérêt substitué au devoir comme ressort des actions humaines, la jouissance devenue le but et obtenue par tous les moyens, la destruction du sens moral, la négation de l’honneur, l’avilissement des qualités chevaleresques, l’abâtardissement des vertus viriles, l’ironie s’attaquant aux choses les plus saintes, le scepticisme complice du sensualisme, le relâchement des mœurs, l’étalage effronté du vice, l’urbanité se dissolvant en orgies, la vie civile s’épuisant en saturnales, telle est la corruption dont Falstaff est le génie.

Pour faire face à ces deux périls, la société trouve un noble champion. Henry de Monmouth apparaît dans ce drame suprême comme le paladin de la civilisation. C’est ce preux idéal que Shakespeare a désigné pour délivrer le monde britannique du double fléau qui l’envahit. — Tous les principes que met en question la réaction d’Hotspur triomphent dans la journée de Shrewsbury par l’intervention décisive du prince de Galles. Ce n’est pas seulement le roi son père que sauve Henry, c’est la souveraineté nationale représentée par un gou-