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INTRODUCTION.

L’écu qu’il porte n’est plus que l’égide grotesque du larcin. Le soldat qu’il commande n’est plus qu’un fricoteur. La guerre, cette Bellone altière qui préside aux exterminations de peuples et à laquelle Hotspur sacrifie chaque jour une hécatombe humaine, est devenue pour ce combattant dérisoire l’infime divinité de la maraude !

Transportée par le poëte sur le champ de bataille, la figure de Falstaff fait un étonnant repoussoir à la figure de Henry Percy. Hotspur, le preux primitif et farouche, a pour antagoniste grotesque Falstaff, le chevalier dénaturé. Shakespeare a accentué par un coup de génie cette antithèse saisissante : quand le combat de Shrewsbury est fini, quand la rébellion jonche la plaine de ses légions décimées, Falstaff quitte le champ funèbre, emportant sur son dos le corps inanimé d’Hotspur. Distinguez-vous d’ici ce groupe étrange ? Reconnaissez-vous, à la dernière lueur du crépuscule sanglant, ce grand révolté étendu, les bras inertes, les jambes pendantes, la face livide, sur les épaules colossales du traînard ventru qui crève de rire sous ce poids homérique ? Telle est la fin du paladin ! Telle est la conclusion de tant d’efforts, de tant d’exploits, de tant de prodiges ! Le cadavre du héros est le trophée du bouffon. Quel spectacle et quel symbole ! Hotspur abandonné à Falstaff, c’est la gloire du passé devenue la proie du sarcasme moderne. Hotspur sur les épaules de Falstaff, c’est le monde de l’épopée soulevé triomphalement par l’Atlas de la comédie.

Hotspur et Falstaff sont les deux extrêmes entre lesquels oscille le drame de Henry IV. La mort de l’un termine la première partie de ce drame ; la disgrâce de l’autre achève la seconde. Et cette double catastrophe est la terminaison logique de la grande crise sociale que Shakespeare a voulu peindre.

La société, telle que le poëte l’a vue, est menacée par