Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1872, tome 11.djvu/79

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
75
INTRODUCTION.

quand il imite, par une prétendue surdité, le hautain silence du vieux lord.

Mais il est une grande institution dont Falstaff est la caricature vivante. Sir John est chevalier. Il appartient par son titre à cet ordre illustre, issu de la barbarie du moyen âge, qui était fondé sur un triple culte, dévotion à Dieu, dévotion au roi, dévotion à la femme. Eh bien, voyez comment il remplit le triple vœu qui le lie. La Divinité ? Il la nargue sans cesse par son sensualisme obstiné, par ses blasphèmes, par son adoration de la dive bouteille. La royauté ? Il la bafoue dans cette étourdissante scène où il transforme la taverne d’Eastcheap en un Westminster grotesque, et où il parodie Henry IV, réprimandant le prince de Galles : « Cet escabeau sera mon trône, cette dague mon sceptre, et ce coussin ma couronne ? » La femme ? Il la vilipende en choisissant pour dame une fille, « aussi publique que la route de Saint-Albans à Londres. » La vie entière de ce chevalier est le travestissement de toutes les vertus chevaleresques. La loyauté chez lui se traduit en hâbleries et en fourberies ; la courtoisie, en jurons et en facéties de corps de garde ; la prouesse, en couardise systématique : « La meilleure partie du courage, dit-il, c’est la prudence. « Il ne se prévaut de sa dignité que pour se dispenser de probité. L’aristocratie n’est pour lui que le privilége de ne pas payer ce qu’il doit. Don Juan éconduisant monsieur Dimanche est moins insolent que Falstaff pestant contre maître Dumbleton : « Qu’il subisse la damnation du glouton ! et puisse la langue lui brûler plus encore ! Un fils de putain ! un misérable Achitophel ! un fieffé manant ! tenir un gentilhomme en suspens, et lui réclamer des sûretés ! Ces gueux à caboches doucereuses ne portent plus que des talons hauts ; et quand on veut s’endetter chez eux par une honnête commande, alors ils