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INTRODUCTION.

pulence. Il ne connaît que par leur aspect matériel les sentiments les plus élevés de l’âme. Pour lui, l’amour n’est qu’une jouissance physique ; l’ambition, cette émulation des magnanimes, n’est qu’une spéculation pour parvenir à la fortune et à l’opulence ; la noblesse, cette dignité primitive de la générosité, n’est qu’un blason ; l’honneur, cette expression naïve du devoir, n’est qu’une formule : « Qu’est-ce que l’honneur ? Un mot. Qu’y a-t-il dans ce mot honneur ? Un souffle. Le charmant bénéfice ! Qui le possède cet honneur ? Celui qui est mort mercredi ! Le sait-il ? Non. L’entend-il ? Non… L’honneur est un simple écusson, et ainsi finit mon catéchisme ! » Pour Falstaf, le repos dans le bien-être, voilà la fin suprême. Ubi bene, ibi patria. La satisfaction, voilà la loi. Falstaff est un véritable épicurien qui se défie du mal, comme il se garde du bien. Il n’admet pas plus les grands vices que les grandes vertus. Son tempérament même le préserve d’une excessive perversité. Il est trop sybarite pour être méchant. Fi des passions fiévreuses qui ôtent l’appétit et troublent la digestion ! Fi des forfaits tragiques qui empêchent de dormir ! S’il répudie les grandes passions, en revanche, il caresse de grosses faiblesses. Parmi les péchés capitaux, il ne choisit et ne choie que ceux qui l’accommodent. Il se défend de l’orgueil, de l’envie, de la colère, de l’avarice surtout ; mais il se prélasse dans sa douce gourmandise, dans sa chère luxure, dans sa divine paresse. Oh ! le voluptueux far-niente ! Qu’il fait bon se déboutonner après souper et dormir sur les bancs après midi ! Les moments pour lui ne doivent se compter que par les jouissances. « Que diable fait à Falstaff l’instant du jour où nous sommes ? À moins que les heures ne fussent des coupes de xérès, le minutes des chapons, les pendules des langues de maquerelles, les cadrans des enseignes