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LA PATRIE.

forteresses, forcez son Louvre ; cernez-le, traquez-le, saisissez-le ; puis, traduisez-le devant le tribunal de la nation, instruisez son procès devant vos représentants, publiquement, solennellement, en plein Westminster, en pleine convention ; laissez parler son défenseur, laissez-le lui-même plaider sa cause, puis réfutez-le par l’écrasant témoignage de l’évidence, opposez à ses arguties le flagrant délit de sa tyrannie, condamnez-le sans phrase, dégradez-le, détrônez-le, mais arrêtez-là votre juste rigueur ; ne le tuez pas ! Dans ce despote impuissant épargnez l’homme ; respectez en lui cette inviolable existence humaine qui est en chacun. Arrachez-lui le pouvoir, mais laissez-lui l’être. Laissez-le traîner jusqu’au bout sa misérable existence sous le poids de son humiliation, dans l’accablement de son remords, mais ne souillez pas d’un assassinat la robe immaculée de la justice victorieuse.

Ainsi parle le poëte en son drame, et le poëte a raison. La pitié n’est pas seulement la plus noble, c’est aussi la plus sûre politique. Ne l’oublions pas, les représailles appellent les représailles. L’histoire ne le prouve que trop, les morts reviennent. Une révolution qui assassine est hantée. Le spectre de Richard tué poursuivra incessamment Bolingbroke couronné ; il traversera son règne comme un perpétuel trouble-fête ; il suscitera contre lui de continuelles rébellions ; il soufflera le mot d’ordre à toutes les conspirations ; il poursuivra sans relâche la nouvelle dynastie, et ne sera satisfait que quand le petit-fils de son assassin aura été lui-même assassiné. Baptisée dans le sang, la monarchie de Lancastre périra dans le sang. Soixante-dix ans après le meurtre commis à Pomfret, un duc de Glocester ramassera le poignard tombé des mains d’Exton, et le plongera dans le cœur de Henri VI.

Richard II aura pour vengeur Richard III.