Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1872, tome 11.djvu/55

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
51
INTRODUCTION.

comme à mon lit de mort, mon dernier adieu. Dans les longues nuits d’hiver, assieds-toi près du feu avec de bonnes vieilles gens, et fais-leur conter les récits des âges de malheur dès longtemps écoulés ; et, avant de leur dire bonsoir, comme réplique à leur triste histoire, conte-leur ma chute lamentable et renvoie-les en larmes à leurs lits ! » — Puis, dès que le roi est au cachot, vite le poète lui apporte l’hommage de ce pauvre groom qui déplore en termes si touchants l’ingratitude de Barbary, le cheval favori de Richard : « Cette bête a mangé du pain dans la main royale ; elle était fière d’être caressée par cette main, et elle n’a pas bronché sous Bolingbroke ! » Enfin, quand le crime a été commis, quand Exton a assassiné le captif et vient au palais de Westminster réclamer la récompense, c’est par la voix souveraine de Henry IV que Shakespeare indigné maudit le régicide : « Ils n’aiment pas le poison, ceux qui ont besoin du poison, et je ne t’aime pas : quoique je l’aie souhaité mort, je hais son assassin, et l’aime assassiné. Prends pour ta peine le remords de ta conscience, mais non mon approbation ni ma faveur présente. Va errer avec Caïn dans l’ombre de la nuit !… »

Inclinons-nous devant cette poésie magnanime. Saluons ce chantre de l’humanité qui domine les partis de toute la hauteur de la clémence. Pour Shakespeare, la grande politique, c’est la pitié. Le droit triomphant doit être assez fort pour épargner le vaincu. — Peuple, insurgez-vous contre le despote, lancez contre lui vos multitudes ; poursuivez-le de toutes vos colères et de toutes vos rancunes ; soulevez contre lui toutes vos générations, — vieillards et jeunes gens, enfants et femmes mêmes ; — contre lui, faites arme de tout, même de la faiblesse ; opposez vos bâtons à ses sabres, vos piques à ses lances, vos héros à ses soudards : forcez ses bastilles, forcez ses