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LA PATRIE.

seigneurs, qui là estoient venus, montèrent à cheval[1]… »

Shakespeare a transporté à Westminster même cette scène qui, selon Froissart, eut pour théâtre une salle de la Tour de Londres. Cette inexactitude historique, la seule, croyons-nous, que renferme l’œuvre du maître, est bien significative. L’auteur a délibérément donné à la déposition de Richard II l’éclat d’une cérémonie publique. Pas d’équivoque. Il faut que l’expiation soit éclatante comme la faute. La déposition du despote ne doit pas être une violence furtive, commise entre les quatre murs d’une prison d’État ; elle doit être un acte solennel accompli, à la face du monde, par la nation assemblée. Ce n’est pas une commission d’exception qui doit exiger l’abdication du prince, c’est le Parlement. — Spectacle plein de leçons ! Grâce aux nobles précautions du poëte, le procès intenté à la royauté est instruit avec toutes les garanties de la publicité. Le débat est contradictoire. En face du comte de Northumberland qui tient à la main l’acte d’accusation de la révolution, Shakespeare place l’évêque de Carlisle, l’avocat intrépide du droit divin. Mais le plaidoyer du vénérable évêque ne saurait prévaloir contre la logique révolutionnaire. L’évêque a beau récuser la justice du peuple en déclarant « qu’un sujet ne peut prononcer une sentence contre son roi. » La nation se déclare compétente ; elle juge le roi et le condamne.

La sentence prononcée publiquement doit être exécutée publiquement. Il faut que Richard II abdique à la vue de tous : le roi comparait. Alors nous assistons à cet émouvant spectacle, prémédité par le poëte : la dégradation de la majesté suprême ! La royauté, de qui émane toute noblesse, subit sous nos yeux sa peine infamante.

  1. Froissart. Édition de 1573, p, 510 et 311.