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LA PATRIE.

Cependant les événements sont plus obstinés encore que la crédulité de Richard. Ils ne le lâcheront pas qu’il ne soit désabusé. Un nouveau message frappe d’un nouveau démenti la royale superstition : la nation entière s’est soulevée ; il n’est pas jusqu’aux femmes et aux enfants qui ne s’insurgent ; et déjà les favoris de Son Altesse, Wiltshire, Bagot, Bushy, Green, ont été pris et décapités. Cette fois la secousse est violente. Richard se sent lui-même frappé dans ses ministres : toutes les fictions monarchiques s’écroulent de ce coup. Roi, il se croyait l’arbitre du bien et du mal, l’unique dispensateur de la justice ; et voilà des hommes condamnés par un tribunal inconnu pour des actes que lui, Richard, a ordonnés ! Roi, il se croyait irresponsable, et voilà un peuple en armes qui vient lui demander des comptes ! Alors le voile se déchire. L’histoire, que la flatterie lui avait cachée, se révèle à lui tout à coup. Et, dans une intuition terrible, Richard éperdu aperçoit toutes les catastrophes dynastiques qui ont hâté la fin des princes :

— Au nom du ciel, asseyons-nous à terre et disons la triste histoire de la mort des rois ; les uns déposés, d’autres tués à la guerre, d’autres hantés par les spectres de ceux qu’ils avaient détrônés, d’autres empoisonnés par leurs femmes, d’autres égorgés en dormant, tous assassinés. Car, dans le cercle même de la couronne qui entoure les tempes mortelles d’un roi, la mort tient sa cour ; et là la moqueuse trône, raillant l’autorité de ce roi, riant de sa pompe, lui accordant un souffle, une petite scène pour jouer au monarque, se faire craindre et tuer d’un regard, lui inspirant l’égoïsme et la vanité avec l’idée que cette chair qui sert de rempart à notre vie est un impénétrable airain ! Puis, après s’être ainsi amusée, elle en finit, et, avec une petite épingle, elle perce ce rempart, et adieu le roi ! Couvrez vos têtes et