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INTRODUCTION.

rant. Mais fais en sorte que tes araignées qui sucent ton venin, que tes crapauds rampants se trouvent sur leur chemin… N’offre à mes ennemis que des orties, et, quand ils cueilleront une fleur sur ton sein, fais-la garder par une vipère… Ne riez pas de mes paroles, milords, comme d’une folle adjuration… Cette terre aura du sentiment, et ses pierres se changeront en soldats armés, avant que son roi natal chancelle sous les coups d’une infâme rébellion.

Vainement les rares courtisans qui sont restés fidèles au roi le pressent de s’arracher à une funeste sécurité. Richard II s’entête dans sa majestueuse inaction. Il règne par la grâce de Dieu ; c’est à la grâce de Dieu de le protéger. Ce n’est plus seulement la terre, c’est le ciel qui doit combattre pour le roi :

— Toutes les eaux de la mer orageuse et rude ne sauraient laver du front d’un roi l’onction sacrée : le souffle des humains ne saurait déposer le lieutenant élu par le Seigneur. À chaque homme qu’a enrôlé Bolingbroke pour lever un perfide acier contre notre couronne d’or, Dieu, défendant son Richard, oppose un ange glorieux pris à la solde céleste.

Illusion ! Illusion ! Au moment où Richard, fasciné par le mirage de son droit divin, croit voir se former là-haut la flamboyante milice des anges, la réalité lui pose brusquement la main sur l’épaule et lui montre là-bas ses troupes d’hommes qui le désertent. Salisbury accourt effaré et annonce la dispersion de l’armée galloise. Ce message déconcerte un moment Richard : il pâlit. Mais ce trouble n’est que passager :

— Je l’avais oublié… Ne suis-je pas roi ? Réveille-toi, majesté indolente ! Tu dors… Est-ce que le nom de roi ne vaut pas quarante mille noms ? Arme-toi, arme-toi, mon nom ! un chétif sujet s’attaque à ta gloire suprême !