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SCÈNE XIII.

j’aurais prévenu ces reproches amers et pénétrants, — avant que votre douleur eût parlé, avant qu’elle se fût ainsi emportée devant moi… Voici votre couronne ; — et puisse Celui qui porte la couronne éternelle — vous conserver longtemps celle-ci ! Si je l’aime — autrement que comme l’emblème de votre honneur et de votre renom, — puissé-je ne jamais me relever de cette humble posture — que mon âme intimement loyale et respectueuse — me commande comme l’hommage extérieur de sa soumission ! — Dieu sait, quand je suis entré ici — et que j’ai trouvé Votre Majesté sans souffle apparent, — quel froid mortel a saisi mon cœur ! Si je dissimule, — oh ! puissé-je mourir dans mon égarement actuel, — sans avoir le temps de montrer au monde incrédule — le noble changement que je méditais ! — M’étant approché pour vous regarder, vous croyant mort, — presque mort moi-même, sire, de l’idée que vous l’étiez, — je me suis adressé à la couronne, comme si elle pouvait comprendre, — et je l’ai ainsi apostrophée : Les soucis, à toi attachés, ont épuisé la personne de mon père, — Aussi, tu as beau être du meilleur or ; tu es de l’or le plus mauvais. — Quoique d’un moindre carat, bien plus précieux est l’orqui, devenu une médecine potable, préserve la vie ! — Car toi, toute splendide, tout honorée, toute renommée que tu es, — tu dévores qui te prend ! C’est ainsi, mon très-royal suzerain, — qu’en accusant la couronne, je l’ai mise sur ma tête, — pour m’essayer avec elle, comme avec un ennemi — qui aurait sous mes yeux assassiné mon père : — querelle de loyal héritier. — Mais si son contact a empoisonné mon cœur de joie, — ou enflé mon âme d’un excès d’orgueil, — si un esprit de rébellion ou de vanité — m’a fait accueillir la puissante couronne — avec un ambitieux empressement, — que Dieu l’éloigné à jamais de ma tête — et fasse de moi le plus misérable des