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INTRODUCTION.

cédent pour témoigner que tu ne te fais pas scrupule de verser le sang d’Édouard. Ligue-toi avec ma maladie : et que ta cruauté s’associe à la vieillesse crochue pour faucher une fleur depuis trop longtemps flétrie… Vis dans ton infamie, mais que ton infamie ne meure pas avec toi. Et puissent ces derniers mots être à jamais tes bourreaux !

Sentence solennelle que doit exécuter l’avenir ! La malédiction de Jean de Gand a sur la fortune de Richard II la même action inéluctable que l’anathème de la reine Marguerite sur les destinées de Richard III. La catastrophe future gronde déjà dans cette imprécation. Le poète a concentré là, comme en un éclair suprême, tous les tonnerres du dénoûment. Quoi que puisse faire désormais Richard II, il ne saurait échapper au coup fatal. La malédiction du mourant l’a foudroyé.

Fort de sa toute-puissance, Richard croit pouvoir braver l’excommunication de la tombe. Il riposte par un acte de colère à ce courroux funèbre : il se venge de Jean de Gand en dépossédant Bolingbroke. Sous prétexte qu’il a besoin de subsides pour la guerre d’Irlande, il confisque à son profit le domaine de Lancastre. Mais ce décret arbitraire, qui subordonne au bon plaisir de la monarchie le principe élémentaire de la propriété, est le dernier acte du despotisme. Devant cette application extrême de la théorie royaliste, une résistance nationale s’organise. Chacun se sent lésé dans son droit personnel par l’arrêt qui dépossède Bolingbroke et se prépare à venger le principe outragé. — Dans ce même palais d’Ély où Jean de Gand vient d’expirer, l’élite de la noblesse anglaise, réunie en comité secret, dénonce un despotisme devenu intolérable. Les éléments de la société féodale entrent en lutte. L’aristocratie renie sa suzeraine, la monarchie, dans un langage d’une étonnante har-