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INTRODUCTION.

visiter : Dieu veuille qu’en faisant toute diligence, nous arrivions trop tard !

À ce moment Richard II est aussi monstrueux que Richard III.

Ici se place cette belle scène dont le génie du poëte a illuminé le récit de l’histoire. « Or, avint qu’environ Noël (1398) le duc de Lanclastre (qui viuoit en grande deplaisance, tant pour son fils que pour le gouvernement qu’il veoit en son neveu le roy Richard, et sentant bien le dit duc que s’il persévéroit en celuy estat longuement, le royaume seroit perdu) tomba en une maladie de laquelle il mourut, et eut grand’plainte de ses amis. Le roy Richard d’Angleterre (à ce qu’il monstra) n’en fît pas grand compte : mais l’eut tantost oublié. » Certes, elle est émouvante, même dans le récit laconique de Froissart, cette fin du duc de Lancastre, causée par la double blessure du patriotisme et de la paternité. Mais, pour que l’impression soit à la hauteur du drame, il faut que la victime soit, au dernier moment, confrontée avec son bourreau. Il faut que le souffre-douleur jette au tourmenteur couronné l’anathème de son agonie.

Voilà pourquoi le poëte amène Richard II au chevet de Jean de Gand. La voix du prince expirant est devenue en quelque sorte la voix même de la nation martyre. Les angoisses de la patrie ont trouvé leur dernier écho dans le râle sacré du patriarche :

— … Cet auguste trône des rois, cette île-sceptre, cette terre de majesté, ce siége de Mars, cet autre Éden, ce demi-paradis, cette forteresse bâtie par la nature pour se défendre contre l’invasion et le coup de main de la guerre, cette heureuse race d’hommes, ce petit univers, pierre précieuse enchâssée dans une mer d’argent… ce lieu béni, cette terre, cet empire, cette Angleterre…