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INTRODUCTION.

roulera sous les caves de Westminster le monstrueux baril de poudre destiné à faire sauter l’hérétique Angleterre. Avec l’instinct infaillible du patriotisme, le poëte devine là l’ennemi suprême. Aussi le dénonce-t-il à deux reprises et dans deux drames différents : il écrase, dans Henry VIII par la chute de Wolsey, cette conspiration ultramontaine qu’il a démasquée, dans le Roi Jean, par l’humiliation de Pandolphe. Il lance jusqu’au Vatican les foudres de son vers. À l’excommunication partie de Rome, il réplique par l’éternel anathème de la muse : « Tu ne peux pas, cardinal, imaginer un titre aussi futile, aussi indigne, aussi ridicule que celui de pape. Dis cela à ton maître ; — et, de la part de l’Angleterre, ajoute qu’aucun prêtre italien ne percevra jamais ni taxe ni dîme dans nos domaines. Continuez, vous tous rois de la chrétienté, à vous laisser mener grossièrement par ce pape intrigant… Seul, je lui résiste et tiens pour ennemis ses amis[1] ! »

C’est avec cette éloquence passionnée que Shakespeare revendiquait l’autonomie de son pays. — Indépendance religieuse, — indépendance politique, — exclusion des prétendants étrangers, — exclusion de la monarchie catholique, — exclusion de la suprématie papale, — telles étaient pour l’auteur de Henry VIII et du Roi Jean les conditions essentielles à l’existence même de sa patrie : telles étaient les bases fondamentales de la charte idéale que promulguait son génie. Hors de là, pas de droit public, pas de vie publique. Tributaire du dehors, la patrie n’existait plus ; elle n’était plus nation et devenait province ; elle perdait la direction de ses destinées ; elle abdiquait son moi en abjurant sa conscience ; elle se suicidait dans la conscience universelle.

  1. Le roi Jean, vol. III, P. 219.