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LA PATRIE.

devant les conjurés, à la pressante sollicitation de sir Gilly Merrick. Ici les embarras commencent. Il faut prouver l’existence de cette œuvre anonyme, révélée par les savants calculs des critiques. Pour ce, on consulte tous les documents contemporains : aucune trace, aucune mention de ladite pièce. N’importe. On n’en démord pas. La pièce existe, prétend-on ; on la découvrira quelque jour. Un jour, en effet, — il y a de cela quelques années, — l’infatigable antiquaire, M. Collier, trouve, dans les archives d’une des principales bibliothèques d’Angleterre (Bodleyan Library), le journal d’un certain docteur Simon Forman, lequel, à la date du 30 avril 1611, contient l’analyse d’un Richard II, autre que le Richard II de Shakespeare. — Victoire, s’écrie-t-il ! — Victoire, répètent en chœur les loyaux critiques ! Mais, hélas ! ces messieurs ont poussé trop tôt le cri de triomphe ! Le compte rendu même de Forman dissipe toute illusion ; le drame analysé par le docteur n’a aucun rapport avec le drame désigné par sir Gilly Merrick ; il a pour sujet les premiers événements du règne de Richard II, la répression sanglante de l’insurrection populaire de Jacques Strak et de Wat Tyler, et la victoire du roi sur le parti aristocratique représenté par le comte d’Arundel et le duc de Glocester ; il ne contient aucune des scènes indiquées, ni la déposition, ni le meurtre du roi. Donc, il faut s’y résigner, ce ne peut être le drame joué, le 7 février 1601, devant les conjurés.

Ainsi l’existence du drame anonyme, antérieur à l’œuvre de Shakespeare et ayant pour sujet, comme celle-ci, la fin du règne de Richard II, est encore à prouver, et il faut, pour la démontrer, que la critique anglaise recommence ses recherches. Mais à quoi bon tant d’efforts stériles ? À quoi bon lutter contre l’évidence ? N’est-il pas clair que, si en 1601, la troupe du lord chambellan possédait dans son répertoire deux