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LA PATRIE.

couronne et d’avoir voulu traiter la reine Élisabeth comme jadis Henry de Lancastre avait traité le roi Richard : « En mon âme et conscience, s’écria l’attorney général Coke, le Jefferies de ce procès, je suis convaincu que la reine n’aurait pas vécu longtemps, une fois en votre pouvoir… Vous l’auriez traitée comme Henry de Lancastre traita Richard II. Vous l’auriez approchée en suppliant, et puis, vous lui auriez volé la couronne et la vie[1] ! » Ainsi le précédent de la révolution de 1399 que les partisans du comte d’Essex invoquaient naguère en sa faveur, se retournait contre lui, terrible. Ce souvenir décida la sentence. Essex tomba sous le coup d’une réminiscence historique. Henry de Lancastre n’avait expié que par ses remords le meurtre de Richard ; Essex le paya de sa tête. Par un surprenant ricochet, les représailles qui avaient accompagné le coupable allaient, à deux cents ans de distance, frapper un innocent !

Oui, qui le croirait ? la représentation du drame de Richard II, ce drame déjà ancien qui, de l’aveu même de la reine, avait été joué publiquement quarante fois, fut un des principaux griefs reprochés aux prévenus. Les magistrats royaux prétendirent y voir la preuve décisive d’un attentat prémédité. Chose inouïe dans les annales de l’iniquité judiciaire, ils assimilèrent à la perpétration d’un crime nouveau le simple fait d’avoir assisté à la représentation d’un crime historique. Le témoin de l’exhibition théâtrale d’un régicide fictif fut déclaré par eux effectivement coupable de régicide. Il faut lire cela dans les documents officiels pour le croire. Voici, fidèlement traduit, le résumé des chefs d’accusation élevés

  1. « You should have treated her as Henry of Lancaster did Richard the second — gone to her as suppliant, and then robbed her of her crown and a life. »