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SCÈNE XVIII.

ture que moi, — je n’ai pas trouvé moyen. Pourtant forgeons ce rapprochement. — Je considère ma cervelle comme la femelle de mon esprit : — mon esprit est le père, et à eux deux ils procréent — une génération de pensées qui pullulent — et qui peuplent ce microcosme — de fantaisies sombres comme les populations de ce monde ; — car aucune pensée ne contient la satisfaction. Les plus élevées, — les pensées qui ont trait aux choses divines, sont mélangées — de doutes et mettent le verbe même — en contradiction avec le verbe. — Ainsi à cette parole : Laissez arriver à moi les petits, elles opposeront celle-ci : — Il est aussi difficile d’arriver qu’à un chameaude passer par le trou d’une aiguille. — Les pensées qui tendent à l’ambition complotent — d’inexécutables miracles : elles cherchent comment ces faibles ongles pourraient — creuser un passage à travers les flancs de pierre — de ce dur monde, les murs de ma sordide prison ; — et, comme c’est impossible, elles expirent dans leur propre vanité. — Les pensées qui tendent à la résignation insistent sur ce point — que nous ne sommes pas la première victime de la fortune, — et que nous ne serons pas la dernière ; comme ces mendiants stupides, — qui, assis au pilori, donnent à leur ignominie ce refuge — que bien d’autres y ont été et que bien d’autres encore y seront assis, — et qui trouvent ainsi une sorte de soulagement — à mettre leur propre infortune sur le dos — de ceux qui ont déjà enduré la pareille. — Ainsi je joue à moi seul bien des personnages, — dont aucun n’est content. Par moments, je suis roi ; — alors les trahisons me font souhaiter d’être mendiant, — et me voilà mendiant. Alors l’écrasante misère — me persuade que j’étais mieux, étant roi ; — et me voilà redevenu roi : mais immédiatement — je songe que je suis détrôné par Bolingbroke, — et aussitôt je ne suis plus rien. Mais quoi