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LA PATRIE.

force toute particulière. Comment, en effet, ne pas être frappé de l’analogie singulière qui existait entre la situation de Bolingbroke et celle du comte d’Essex ? Comme Bolingbroke, Essex avait dans les veines du sang royal d’Angleterre ; comme Bolingbroke, Essex était rentré dans sa patrie, malgré la volonté royale ; comme Bolingbroke, Essex avait été ruiné et, sinon exproprié, du moins dépossédé ; comme Bolingbroke, Essex avait une armée qui lui était personnellement dévouée ; comme Bolingbroke, Essex était adoré du peuple ; comme Bolingbroke partant pour la France, Essex, se rendant en Irlande, avait été escorté, à sa sortie de Londres, par une foule immense qui l’acclamait et le pleurait ; comme Bolingbroke, Essex était encouragé par la Cité avec laquelle il avait de secrètes intelligences ; comme Bolingbroke enfin, Essex accusait de trahison les ministres et voulait délivrer le pays d’un gouvernement odieux et despotique. Cette minutieuse ressemblance devait certes faire illusion aux partisans qui assistaient, le 7 février, à la résurrection de Richard II. Éclairé par la lumière fantastique de la scène, le personnage de Henry de Lancastre devait finir par se confondre à leurs yeux avec la figure même de Robert d’Essex. Mêmes traits, même sourire digne et affable, même pose aristocratique et populaire, même langage, mêmes griefs, mêmes vœux. Si les situations étaient identiques, pourquoi les destinées ne le seraient-elles pas ? Il y avait autour d’Essex des imprudents, des ambitieux, des agents provocateurs qui le poussaient, malgré lui, à s’emparer du pouvoir suprême. Quel argument pour ces conseillers que la triomphante révolution de 1399 ! C’était l’histoire elle-même qui leur donnait raison. On eût dit qu’elle se liguait avec eux pour entraîner le malheureux comte vers une catastrophe. Tentative funeste, elle l’attirait à