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SCÈNE III.

jean de gand.

— Qu’est-ce que six hivers ? C’est bien vite passé.

bolingbroke.

— Oui, pour l’homme dans la joie ; mais d’une heure le chagrin en fait dix.

jean de gand.

— Suppose que c’est un voyage que tu fais pour ton plaisir.

bolingbroke.

— Mon cœur me détrompera par un soupir, — lui pour qui ce sera un pèlerinage forcé.

jean de gand.

— Regarde le sombre cercle de ta marche douloureuse — comme la monture où tu dois enchâsser — le précieux joyau de ton retour.

bolingbroke.

— Non, chacun de mes pas pénibles — me rappellera bien plutôt quel monde — m’éloigne des joyaux qui me sont chers. — Il faut que je fasse le long apprentissage — des routes de l’étranger ; et à la fin, — devenu libre, de quoi pourrai-je me vanter, — sinon d’avoir été le journalier de la douleur ?

jean de gand.

— Tous les lieux que visite le regard des cieux — sont pour le sage autant de ports et d’heureux havres : — apprends de la nécessité à raisonner ainsi. — Il n’est point de vertu comme la nécessité ! — Pense, non que le roi t’a banni, — mais que tu as banni le roi. Le malheur s’appesantit d’autant plus — qu’il s’aperçoit qu’on le supporte faiblement. — Va, figure-toi que je t’ai envoyé en quête de la gloire, — et non que le roi t’a exilé ; ou suppose — qu’une peste dévorante plane dans notre atmosphère, — et que tu fuis vers un climat plus pur. — Écoute, imagine que tout ce que ton âme a de plus cher