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INTRODUCTION.

que à la biographie de Plutarque et que Shakespeare montre ici comme l’adorable haut fait de la grâce, — Brutus se rasseoit, prend un livre et se dispose à lire : « Comme ce flambeau brûle mal, s’écrie-t-il ! » À peine a-t-il jeté cette exclamation qu’il distingue au fond de la pénombre une forme étrange qui s’avance vers lui. L’effarement de Macbeth apercevant le fantôme de Banquo n’est pas plus grand que l’étonnement de Brutus à l’aspect de cette vision mystérieuse. Mais, plus heureux que le thane écossais, le général romain peut sans remords interroger les ombres :

— Es-tu quelque chose ? Es-tu un dieu, un ange ou un démon, toi qui glaces mon sang et fais dresser mes cheveux ? Dis-moi qui tu es !

— Ton mauvais génie, Brutus.

— Pourquoi viens-tu ?

— Pour te dire que tu me verras à Philippes.

— Eh bien, je te reverrai !

— Oui, à Philippes.

— Eh bien, je te verrai à Philippes… Maintenant que j’ai repris courage, tu t’évanouis… Mauvais génie, je voudrais m’entretenir avec toi !…

Malheur ! malheur ! Ce spectre qui vient de disparaître en menaçant Brutus, c’est le spectre de César. Les conjurés des Ides de Mars n’ont frappé que le corps du tyran, ils n’ont pas atteint son génie. Car ce génie est impérissable ; c’est le génie de l’oppression, de la violence et de la guerre ; c’est le génie qui étend son ombre sur l’humanité et qui maintient le monde dans les ténèbres. Ce génie est sorti furieux de la tombe, il réclame vengeance et il ne s’apaisera que dans le triomphe du despotisme. C’est lui qui va combattre avec l’épée des triumvirs les derniers défenseurs de la République.

Voici la journée suprême. Les armées ennemies se sont