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LA SOCIÉTÉ.

tive. Son âme immortelle, résolue à rester libre, impose le plus impitoyable des actes à la plus tendre des natures. — Sur le théâtre de Shakespeare, Brutus apparaît ainsi comme un personnage à part. Dans une région où la passion règne souveraine, il est le héros de la volonté. Le stoïque récuse la fatalité terrestre. Il ne subit pas sa destinée, il la fait.

Dès que Brutus a donné son assentiment à la conspiration, elle est formée. Les conjurés viennent dans les ténèbres se grouper autour de lui comme autour de leur chef. Tous les caractères se subordonnent à ce grand caractère : « Ce qui, sans lai, aurait paru crime, son prestige, comme la plus riche alchimie, le transforme en vertu et en mérite. » Le complot reçoit de lui sa direction, comme il tient de lui sa moralité. Les décisions qu’il prend sont ratifiées d’avance. Tel est l’empire de sa volonté qu’elle domine toute objection. C’est en dépit du prudent Cassius que, du haut de sa magnanimité, il repousse comme injurieuse la précaution mesquine du serment : « Non, pas de serment ! Si la conscience humaine, si la souffrance de nos amis, si les abus du temps, si ce sont là de faibles motifs, brisons vite, et que chacun s’en retourne à son lit désœuvré, laissons la tyrannie s’avancer tête haute, jusqu’à ce que nos existences soient décimées par le sort. Mais si ces raisons sont assez brûlantes pour enflammer les couards, qu’avons-nous besoin d’autre aiguillon que notre propre cause pour nous stimuler à faire justice ? d’autre lien que ce secret entre Romains qui ont donné leur parole et ne l’éluderont pas ? d’autre serment que l’engagement pris par l’honneur envers l’honneur de faire ceci ou de périr ? laissons jurer les prêtres et les âmes souffreteuses qui caressent l’injure ! Laissons jurer dans de mauvaises causes les créatures dont doutent les hommes, mais ne souillons pas