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EXTRAIT DES HÉCATOMMITHI.

Cependant Épitia, qui avait été si ardente contre lui, ayant eu la sentence de l’empereur, mue de sa naturelle bénignité, jugea être une chose indigne d’elle, puisque l’empereur avait voulu que Juriste fût son mari, et qu’elle l’avait accepté pour tel, permettre qu’il mourût à l’occasion d’icelle, pensant que cela lui serait plutôt attribué à un appétit de vengeance, et à cruauté, qu’à désir de justice.

Parquoi, elle s’en alla à l’empereur, et ayant eu congé de parler, elle dit ainsi :

— Très-sacré empereur, l’injustice et ingratitude de Juriste m’ont induite de demander justice à Votre Majesté contre lui : à quoi elle a très-justement pourvu, faisant qu’il m’épousât, pour la réparation de mon honneur, et le condamnant à mort, pour avoir fait mourir mon frère, contre la foi donnée. Mais comme devant que je fusse sa femme, je devais désirer que Votre Majesté le condamnât à mourir, aussi maintenant qu’il lui a plu que je sois liée à Juriste par le saint lien du mariage, si je consentais à la mort d’icelui, je me tiendrais digne du nom de cruelle femme, avec une perpétuelle ignominie. Ce qui serait un effet contraire à l’intention de Votre Majesté, laquelle par sa justice a pourchassé mon honneur. Parquoi, très-sacré empereur, afin que la bonne intention de Votre Majesté obtienne sa fin, et que mon honneur demeure sans tache, je vous supplie humblement et en toute révérence, ne permettre que par la sentence de Votre Majesté l’épée de justice tranche misérablement le nœud par lequel il a plu à icelle me lier et joindre à Juriste. Et là où la sentence de Votre Majesté a montré certain signe de sa justice, à le condamner à mort, lui plaise aussi maintenant, comme je l’en prie derechef affectueusement, manifester sa clémence, en me le donnant en vie. Ce n’est, très-sacré empereur, moindre louange à qui tient le gouvernement du monde, comme à bon droit Votre Majesté l’a maintenant,