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EXTRAIT DES HÉCATOMMITHI.

Mais les sages disent que Dieu laisse les méchants vivre entre les bons, afin qu’ils leur soient comme un exercice continuel, et un aiguillon pour avoir recours à lui. Joint que Sa Majesté les endure, pourvoir s’ils s’amenderont : mais quand il les voit obstinés en leurs mauvaises œuvres, il leur donne enfin tel châtiment que ceux-là l’ont eu.

Et comme chacun se tût, Fulvia dit :

Les seigneurs établis de Dieu au gouvernement du monde, devraient punir l’ingratitude venant à leur connaissance, comme les homicides, adultères et larcin, voire encore plus, comme digne de plus grand’peine. De quoi ce grand empereur Maximian instruit, voulut tout d’un coup punir l’ingratitude et l’injustice d’un sien officier, dont l’effet se fût ensuivi, si la bonté de la femme, contre laquelle l’ingrat s’était montré très-juste, ne l’eût par sa courtoisie délivré de peine, comme je vous montrerai maintenant.

Tandis que ce grand seigneur, qui fut un rare exemple de courtoisie, de magnanimité et de singulière justice, gouvernait très-heureusement l’empire romain, il envoyait ses officiers gouverner les États qui florissaient sous son empire. Entre autres il envoya au gouvernement d’Inspruck un sien familier qu’il aimait fort, nommé Juriste.

Et devant que l’y envoyer, il lui dit :

— Juriste, la bonne opinion que j’ai conçue de vous, cependant que vous avez été à mon service, me fait vous envoyer gouverneur d’une tant noble ville qu’Inspruck, sous lequel gouvernement je pourrais enjoindre beaucoup de choses ; mais je veux toutes les resserrer en une, qui est que vous gardiez inviolablement la justice, quand vous devriez juger contre moi-même, qui suis votre seigneur. Je vous avise que de tous autres défauts advenant ou par ignorance ou par négligence (lesquels néanmoins il faut éviter tant qu’il est possible), je vous pourrais pardonner, et non pas d’une chose faite contre justice.