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INTRODUCTION.

tion, est définitivement uni à Marianne qui l’a sauvé de l’échafaud en le sauvant du crime. Enfin le duc, offrant à la vertu triomphante un hommage suprême, conjure Isabelle d’accepter un trône sur la terre ; mais la vierge sainte, que sollicitent les solitudes du cloître, ne répond pas à cette prière : elle garde le silence, en levant les yeux au ciel.

Coleridge a blâmé avec une sorte de colère ce dénoûment si charmant et si profond : « Le pardon et le mariage d’Angelo, s’est écrié l’auteur des Literary Remains, frustre les droits indignés de la justice. » Qu’aurait donc voulu le critique anglais ? — Qu’Angelo fut mis à mort ! — Et pourquoi ? pour des crimes non commis ! pour avoir eu l’intention de séduire Isabelle ! pour avoir eu l’intention de mettre à mort Claudio ! Mais, ainsi que l’observe Isabelle elle-même, « l’acte n’a pas suivi la mauvaise intention ; il doit donc être considéré comme une intention morte en route. Les pensées ne sont pas justiciables : les intentions ne sont que des pensées. » Comme l’indique le titre même de la pièce, la peine doit être égale au délit, Mesure pour Mesure. Angelo, n’étant coupable que moralement, n’est passible que d’une peine morale. Et n’est-ce pas un terrible châtiment moral que subit Angelo, à la scène finale ? N’est-ce pas un supplice pour cet hypocrite que de se voir arracher devant tous son masque d’austérité ? Quelle disgrâce et quelle humiliation ! Ce personnage devant qui la foule s’inclinait, personne ne le saluera plus. Les honnêtes gens ne daigneront plus connaître ce magistrat dont le sourire était une faveur ! Ah ! avouez que la mort serait douce à côté de cette lente torture ! Voilà l’arrogant pour toujours exposé au mépris public ; son orgueil a été mis au pilori de l’opprobre ; sa vanité portera à jamais la marque infamante du scandale.

Et ce n’est pas seulement la réputation d’Angelo qui s’écroule au milieu des huées, c’est le despotisme qu’il incarnait. L’homme a entraîné l’homme d’État dans sa