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INTRODUCTION.

trement, non-seulement il subira la mort, mais ta dureté prolongera son agonie par une lente torture.

Tragique extrémité ! Isabelle est obligée de se prostituer ou de tuer son frère. Entre les deux termes de ce dilemme, la vierge sainte n’hésite pas : « Mieux vaut pour le frère la mort d’un moment que pour la sœur une mort éternelle. » Mais Claudio ratifiera-t-il cette décision ? se soumettra-t-il à ce verdict ? — Qu’Isabelle ne veuille pas se perdre dans le ciel pour sauver Claudio sur la lerre, qu’elle ne veuille pas sacrifier la béatitude certaine d’une existence immortelle aux jouissances équivoques d’une vie éphémère, qu’elle ne veuille pas risquer une éternelle damnation pour un répit de quelques années, rien de plus logique. Mais Claudio, qui n’a pas la certitude d’Isabelle, peut-il avoir la même résignation ? La vérité, lumineuse pour celle-ci, est plus que douteuse pour celui-là. Claudio est une âme sensuelle pour qui la matière est la seule évidence. Le monde visible où il respire lui paraît beaucoup plus prouvé que le monde invisible auquel aspire la religieuse. Autant l’une a horreur de notre milieu charnel, autant l’autre est content d’y être et avide d’y jouir. La mort, qui pour la croyante est un avènement à la félicité céleste, n’apparaît au sceptique que comme une affreuse dissolution. La dalle du sépulcre, qui pour Isabelle est la porte du paradis, est pour Claudio la trappe du néant.

Le conflit entre ces deux caractères va éclater dans une scène merveilleuse que Shakespeare a pu seul inventer. Isabelle a pénétré dans le cachot de son frère toute tremblante de ce doute : consentira-t-il à mourir ? Haletante, elle raconte au prisonnier ce qui vient de se passer. Le premier instinct du jeune homme est de flétrir et de repousser l’infâme clémence d’Angelo. Isabelle le félicite de ce beau mouvement et l’avertit de se préparer à la mort. Mais, à la pensée de ces apprêts funèbres, le courage de