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SCÈNE IV.

tous les valets.

Oui. Que ne sommes-nous servis par eux !

apemantus.

Ou par moi !… Vous seriez servis aussi bien que des voleurs… par le bourreau.

le fou.

Êtes-vous, tous les trois, gens d’usuriers ?

tous les valets.

Oui, fou.

le fou.

Il n’y a pas, je crois, d’usurier qui n’ait un fou pour serviteur. Ma maîtresse est une usurière, et moi je suis son fou. Quand les gens viennent emprunter à vos maîtres, ils arrivent tristes et s’en vont gais ; mais, chez ma maîtresse, ils entrent gais et s’en vont tristes. En savez-vous la raison ?

le valet de varron.

Je pourrais en donner une.

apemantus.

Donne-la donc, que nous puissions te déclarer un putassier et un drôle ; nonobstant quoi, tu n’en seras pas moins estimé.

le serviteur de varron.

Qu’est-ce donc qu’un putassier, fou ?

le fou.

Un fou bien vêtu, et qui te ressemble un peu. C’est un esprit : parfois, il prend les traits d’un seigneur, parfois ceux d’un légiste, parfois ceux d’un philosophe, cherchant, bourses déliées, un bijou autre que la pierre philosophale. Il a très-souvent la figure d’un chevalier. C’est un esprit qui erre généralement sous toutes les formes que l’humanité promène, de treize à quatre-vingts ans.

le serviteur de varron.

Tu n’es pas tout à fait un fou.