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TIMON D'ATHÈNES.

mettre à même de vous manifester en partie notre dévouement, nous nous estimerions à jamais comblés.

timon.

Oh ! n’en doutez pas, mes bons amis, les dieux eux-mêmes ont décidé que je serais un jour puissamment assisté par vous : autrement pourquoi seriez-vous mes amis ? Pourquoi, entre mille, auriez-vous reçu ce titre affectueux, si vous n’apparteniez pas spécialement à mon cœur ? Je me suis dit à moi-même plus de bien de vous que vous ne pouvez modestement en dire vous-mêmes ; si grande est ma confiance en vous ! Ô dieux, ai-je pensé, qu’aurions-nous besoin d’amis, si nous ne devions jamais avoir besoin d’eux ? Ce seraient les créatures du monde les plus inutiles, si jamais nous n’étions dans le cas de recourir à eux : ils ressembleraient fort à ces instruments harmonieux, enveloppés de leurs étuis, qui gardent leurs sons pour eux-mêmes. Même, j’ai souvent souhaité de m’appauvrir pour pouvoir me rattacher plus étroitement à vous. Nous sommes nés pour faire le bien ; et quelle chose pouvons-nous appeler nôtre plus justement, plus raisonnablement que la fortune de nos amis ? Oh ! quelle précieuse garantie c’est pour nous de pouvoir, comme des frères, disposer mutuellement de nos richesses !

Il pleure.

Ô joie noyée avant même d’être née ! Mes yeux ne peuvent retenir leurs larmes : pour faire oublier leur faute, je bois à vous.

apemantus.

Tu pleures pour les faire boire, Timon.

deuxième seigneur, les larmes aux yeux.

La joie a eu dans nos yeux une naissance semblable, — et la voilà qui apparaît, comme un enfant, au milieu des larmes.

apemantus.

Ho ! ho ! je ris à la pensée que cet enfant-là est bâtard.