Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1872, tome 10.djvu/165

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
161
SCÈNE IX.

isabelle.

Expliquez-vous ; je me sens le courage de faire tout ce qui ne paraîtra pas noir à la pureté de mon âme.

le duc.

La vertu est hardie, et l’honnêteté intrépide… Est-ce que vous n’avez pas ouï parler de Marianne, la sœur de Frédéric, le grand capitaine qui a péri sur mer ?

isabelle.

J’ai ouï parler de cette dame, et en fort bons termes.

le duc.

Angelo devait l’épouser ; il lui était fiancé par serment, et le jour même des noces était fixé. Dans intervalle du contrat à la solennité, Frédéric fit naufrage, et la dot de sa sœur qu’il apportait disparut avec le vaisseau. Voyez que de malheurs s’ensuivirent pour la pauvre damoiselle ! Elle perdit là un noble et illustre frère qui toujours avait eu pour elle la plus tendre et la plus sincère affection ; avec lui, sa dot, l’élément et le nerf de sa fortune ; et enfin, le mari qui lui était engagé, cet hypocrite Angelo.

isabelle.

Est-il possible ! Est-ce qu’Angelo l’a abandonnée ?

le duc.

Il l’a abandonnée à ses larmes, sans en sécher une seule par un mot consolant, et a dévoré ses serments sous prétexte de découvertes déshonorantes pour elle. Bref, il l’a vouée au deuil qu’elle porte encore dans son amour pour lui, et, de marbre à ses pleurs, il en est inondé, sans en être attendri.

isabelle.

Qu’elle serait charitable, la mort qui enlèverait de ce monde cette pauvre fille ! Qu’elle est corrompue, la vie qui permet de vivre à cet homme !… Mais quel avantage peut-elle retirer de tout ceci ?