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MESURE POUR MESURE.

le duc.

Qu’à peine arrivé vous vous retiriez. Laissez-moi un moment avec cette vierge… Mon caractère vous garantit, comme mon habit, qu’aucun préjudice ne peut l’atteindre dans ma compagnie.

le prévôt.

À la bonne heure.

Il sort.
le duc.

La main qui vous fit belle vous fit vertueuse. La vertu qui fait bon marché de ses charmes rend éphémères les charmes de la beauté ; mais la grâce, étant l’âme de votre personne, en parera le corps à jamais. La fortune a porté à ma connaissance l’assaut qu’Angelo vous a livré ; et, si la fragilité humaine n’offrait pas maints exemples d’une pareille chute, Angelo m’étonnerait. Comment ferez-vous pour contenter ce ministre et sauver votre frère ?

isabelle.

Je vais l’édifier sur-le-champ. J’aime mieux pour mon frère une mort légale que pour mon fils une naissance illégitime. Mais, oh ! combien notre bon duc se trompe sur Angelo ! Si jamais il revient et que je puisse lui parler, ou j’ouvrirai la bouche en vain ou je démasquerai ce gouvernant.

le duc.

Ce ne sera pas un mal. Pourtant, au point où en sont les choses, il échappera à votre accusation ; il prétendra n’avoir voulu que vous sonder. Aussi rivez votre oreille à mes avis. À mon zèle pour faire le bien un remède se présente. J’ai tout lieu de croire que vous pouvez fort honnêtement rendre à une pauvre femme outragée un service mérité, soustraire votre frère à la colère de la loi, conserver sans tache votre gracieuse personne, et faire grand plaisir au duc absent, si, par aventure, il revient jamais pour être instruit de cette affaire.