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SCÈNE VIII.

isabelle.

— C’est vrai.

angelo.

— Supposez qu’il n’y ait qu’un moyen de sauver sa vie… — Je ne suggère pas cet expédient plutôt qu’un autre, — je parle par hypothèse… Supposez que vous, sa sœur, — vous vous sachiez désirée par quelque personnage — qui, par son crédit auprès du juge ou par son éminente position, — puisse retirer à votre frère les menottes — de la loi répressive, et que, n’ayant — aucun autre moyen terrestre de le sauver, il vous faille livrer les trésors de votre corps — à cet homme ou laisser exécuter votre frère : — que feriez-vous ?

isabelle.

— Je ferais pour mon pauvre frère ce que je ferais pour moi-même. — Or, si j’étais sous le coup de la mort, — je me parerais, comme de rubis, des marques du fouet déchirant, — et je me dépouillerais pour la tombe, comme pour un lit — ardemment convoité, plutôt que de prostituer — mon corps à la honte.

angelo.

Il faut donc que votre frère meure.

isabelle.

Ce serait le parti le moins désastreux. — Mieux vaudrait pour le frère une mort d’un moment — que pour la sœur qui le rachèterait — une mort éternelle.

angelo.

— Ne seriez-vous pas alors aussi cruelle que la sentence — que vous réprouviez si fort ?

isabelle.

— Une rançon ignominieuse et un pardon spontané — ne sont pas de la même famille : une légitime merci n’a — point de parenté avec une infâme rédemption.