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MESURE POUR MESURE.

font pleurer les anges, et qui, s’ils avaient nos ironies, — leur donneraient le fou rire des mortels !

lucio, à part.

— Ô ferme ! ferme, fillette ! il fléchira ; je le vois déjà venir.

le prévôt.

— Fasse le ciel qu’elle le captive !

isabelle.

— Nous ne savons pas peser les actes de notre frère comme les nôtres. — Les grands peuvent se moquer des saints : c’est preuve d’esprit chez eux, — mais, chez leurs inférieurs, c’est une odieuse profanation.

lucio, à part.

— Tu es dans le vrai, jeune fille : insiste là-dessus.

isabelle.

— Ce qui chez le capitaine n’est qu’un mot de colère — est chez le soldat franc blasphème.

lucio, à part.

— Comment sais-tu tout cela ? Insiste encore.

angelo.

— Pourquoi me poursuivez-vous de ces maximes ?

isabelle.

— Parce que l’autorité, bien que faillible comme nous tous, — porte en elle-même une sorte de remède — qui cicatrise le vice de la grandeur. Rentrez en vous-même ; — frappez votre cœur, et demandez-lui s’il n’a conscience de rien — qui ressemble à la faute de mon frère : s’il confesse — une faiblesse de nature analogue à la sienne, — qu’il ne lance pas sur vos lèvres une sentence — contre la vie de mon frère !

angelo, à part.

Elle parle, et avec tant de raison — qu’elle agit sur ma raison.

Haut, à Isabelle.